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HISTOIRE
DE LA TELEVISION FRANCAISE
RENCONTRE DU 1ER TYPE AVEC ANDRÉ BERTAUX*
Trop
peu d'articles sont consacrés à cette
histoire, passionnante à plus d'un titre.
Et pourtant, combien d'idées reçues
voguent allègrement autour de ce passé
pas si loin-tain ! Qui se souvient que le 441 lignes
avait été installé par les
Allemands à la fin de la guerre... rue Cognacq-Jay,
cela pour distraire les blessés allemands
dans les hôpitaux (mesure sociale d'où
la propagande n'était pas exclue !). Que
c'est François Mitterand, ancien président
de la République, alors ministre de l'information,
qui a fixé en 1948 le standard français
à 819 lignes ! Ou encore que le monopole
de la radio-télévision d'état
(dont nous connaissons encore l'influence indirecte
aujourd'hui) remonte à une vieille tradition,
puisqu'en 1793, existait déjà un monopole
des télégraphes, ceci en contradiction
d'ailleurs avec l'article 11 de la déclaration
des droits de l'Homme !
On peut raisonnablement dire que 1950 a été
l'An 1 de la Télévision française,
non de son existence, car les premières émissions
expérimentales datent de 1935. On comptait
alors près de 4 000 récepteurs sur
Paris et la proche banlieue. Trois années
plus tard, ils seront près de 60 000, préfigurant
ainsi de l'essor extraordinaire d'un média
qui n'aura de cesse ensuite de connaître ses
heures de noblesse, grâce, il ne faut pas
l'oublier, à des techniciens qui se sont
investis dans cette grande aventure : nous avons
rencontré l'un d'eux pour vous, alors écoutons
le parler
Premiers balbutiements
J'ai commencé à la radio en 45, sur
les premiers magnétophones fonctionnant à
76 cm/s, à l'ancien centre rue François
1er. J'ai connu les machines à fil à
ce moment-là (N.R.le " fil" remplaçant
la bande magnétique au début). Les
premiers magnétos à bandes datent
de 46-47. Je suis ensuite arrivé à
Cognacq-Jay en 53, pensant que la télévision,
c'était l'avenir. C'est encore le 441 lignes,
le passage définitif au 8191ignes sera accéléré
par l'incendie de la Tour Eiffel en 56, où
le feeder de l'antenne au 3ème étage
sera détruit.
A cette époque, tout était diffusé
en direct : pour les dramatiques par exemple, avaient
lieu des répétitions pendant deux,
trois jours, puis la générale dans
l'après-midi de la diffusion. On en profitait
pour vérifier tous les Hypericônoscopes
(premiers tubes noir et blanc) entre la générale
et le direct, et puis c'était parti pour
1 heure et demie : personne n'avait droit à
l'erreur ! Les caméras étaient délicates
à régler, il fallait refaire le point
régulièrement, ça variait avec
la température. le 441 lignes ! C'était
juste, en verticale, on voyait très bien
les lignes... Au milieu des années 50, arrive
donc le 819 lignes avec le kinescope 16 mm : l'image
était reprise par une caméra film
à partir d'un moniteur, ce qui a permis le
différé. Un tube vert assurait un
meilleur rendu des contrastes, la caméra
et le balayage du récepteur étant
asservis pour éviter un défilement
de bord sur le moniteur (il existe de nombreuses
archives à l'Ina). Le magnétoscope
ne supplantera le kinescope que vers 65. Il y avait
des pannes : le matériel était beaucoup
moins fiable qu'aujourd'hui... "
Il
est né ...
" Le premier VTR fait son apparition en France
en octobre 59, avec l'avènement de l'ORTF,
qui remplace désormais la RTF, rattachée
auparavant au ministère de la Formation.
L'ORTF bénéficiera d'un statut particulier,
où les employés ne sont plus des fonctionnaires.
Michel Oudin est le premier responsable d'un secteur
qui va très vite se développer. Après
le VR 1 OOO-A, c'est en 1960 le VR 1 OOO-B, doté
de têtes d'effacement. Vers 63-64, arriveront
les RCA TR 22 et les VR 2000 (Ampex, bien sûr).
Composés d'une console et de deux baies de
42 U, à tubes électroniques (il n'existait
pas encore de transistors), l'enregistrement était
transversal, de type quadruplex (NR quatre têtes)
: la vitesse de rotation des têtes était
de 250 t/s.

Bloc de têtes quadruplex
Un an après, on a commencé à
parler montage, mais on s'est contenté d'enregistrer
au début sur kinescope plus VRT. Ainsi, on
a pu diffuser les premières conférences
de presse du Général de Gaulle sur
ce support : c'était très stressant,
à cause de la fiabilité ! Dès
61, on a commencé à diffuser sur VTR,
en double, voire en triple... Il est amusant de
signaler ces deux incidents qui ont émaillé
les élections présidentielles de 65,
faisant le scandale que l'on imagine dans le contexte
de l'époque ! Le premier concerne l'allocution
de Tixier-Vignancourt, candidat de l'extrême-droite,
où par erreur, on voyait l'image de l'une
des machines, pendant que l'on entendait le son
de l'autre, les deux n'étaient pas synchrones
bien entendu, créant un effet de réverbération,
on se serait cru dans une cathédrale ! L'origine
a été très longue à
déterminer, puisqu'il s'agissait d'un défaut
de câblage passant non par la régie
finale, mais par la régie de secours qui
était installée. Ensuite pour Lecanuet,
qui avait fait deux prises : bien sûr ce fut
la mauvaise, qui sera diffusée, ce qui impliquera
un arrêt inopiné, puis un redémarrage
avec, cette fois, la bonne parole ! "

Magnétoscope AMPEX AVR1 dans la cellule de
diffusion TDF
Une technique à
maîtriser
" Les premières bandes seront fournies
par la so-ciété 3M. II y avait pas
mal de parasites dessus, on appelait ça des
scratch à l'époque. Il n'y avait pas
de circuit de compensation de drop-out. Sur ces
machines, on n'avait jamais de problème de
tension de bande grâce à l'asservissement.
Il n'y avait pas de correction de quadrature de
têtes au départ, chacune balayant 16
lignes, avec toujours la même pour la synchro
trame. L'orthogonalité imparfaite provoquait
des verticales décalées. Ensuite,
sur la YR 2000, on a pu corriger, grâce au
système AMtek, les défauts de store
vénitien et de feston. On réglait
mécaniquement, c'était tout un art
! Il fallait lire les débuts de bande et
régler : c'est moi qui ai ainsi fixé
les normes d'amorçage encore en vigueur aujourd'hui.
Sept secondes suffisaient seulement pour que les
machines s'asservissent (d'où le noir de
dix secondes avant programme) : cela ne suffisait
pas toujours, alors on voyait l'image " rouler
". Les premiers mois, j'ai passé une
bonne partie de mon temps lors des diffusions avec
un tournevis pour rattraper les réglages
du servomécanisme, les tubes ne donnant pas
des valeurs constantes avec la température
: avec les climatisations, nous avons vite été
enrhumés ! Aussi les images étaient-elles
bonnes au départ, puis défilaient
avec une barre traversant l'écran.

Table de montage manuel: le microscope
sert à repérer les impulsions |
En
61, il était devenu courant d'enregistrer
des dramatiques et des variétés.
C'est aussi le début du montage mécanique,
consistant à couper une bande au massicot.
Au départ, on a même utilisé
une vulgaire lame de rasoir ! Il fallait respecter
le fameux degré, sinon on coupait les
pistes avec parasite important ou pire décrochement
du signal. Il fallait dévoiler les pistes
avec un produit magnétique au moyen d'un
petit pinceau d'aquarelle (mélange d'un
solvant avec de la limaille de fer très
fine). On trempait le pinceau dans le flacon,
on l'étalait sur le bas de la bande,
pour révéler les impulsions de
synchro trame : 50 périodes par seconde
(après on est passé à 24
puis 12,5 pour la couleur). II fallait faire
ensuite correspondre exactement le massicot
à cet endroit. Pareil de l'autre côté,
attention, on répétait au vol,
pas question de ralenti, on déplaçait
légèrement les flasques pour repérer
la coupe son (pas de possibilité d'insertion
encore !). |
Le
collant se faisait avec deux ergots, qui soulevaient
la bande, il fallait que les bords soient bien bout
à bout, le microscope servait à repérer
la fameuse impulsion dévoilée, à
mettre bien en phase du réticule, avec un
levier, on rabattait les bouts de bande et on coupait.
Un rouleau de scotch aluminium permettait de coller
enfin la bande du côté du support.
La
seconde génération
En février 60, arrivent trois autres machines.
Les VR 2000-B ne comportaient plus de baies, avaient
des parties transistorisées avec correction
de quadratures de têtes, puis plus tard une
compensation de drop-out. Les bandes étaient
aspirées dans le guide à vide, il
y avait de l'air comprimé sur les paliers
pour éviter les frottements, donc les instabilités.
Ces pompes à vide, c'était toute une
usine ! C'est Monsieur Chedeville, alors directeur-adjoint
des services techniques, qui a trouvé le
premier le nom du magnétoscope. Pendant des
années, on a dit ampexer pour parler d'enregistrement,
puis on s'est mis petit à petit à
dire magnétoscoper ! J'ai créé
les premiers numéros d'EM (Enregistrement
Magnétique). Pour les dramatiques, il était
courant d'avoir dix bandes.
.jpg)
Section du guide de bande à aspiration
en vis-à-vis d'une tête vidéo
Pour les " Raisins Verts" d'Averty, il
y eut un problème de bourrage de têtes,
c'est-à-dire qu'elles s'encrassaient, l'oxyde
arrachait de la bande, venait boucher l'entrefer
très fin (dix microns), donc il n'y avait
plus de modulation : une piste pouvait ainsi être
effacée. Quand cela ne touchait pas la piste
lisant la synchro, la bande était bruitée.
Il y avait donc une chance sur quatre pour que l'image
décroche complètement. Cela pouvait
arriver à n'importe quel moment. En cas d'accident
à la diffusion, un deuxième opérateur
recalait sa bande et on repartait.
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Pupitre
de l'Ampex AVR-3 : on distingue la fenêtre
pour le code adresse.
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Après,
il y eut les prémices du montage, avec le
système Ampex Editec, ne permettant cependant
de ne commander que la machine enregistreuse, avec
un progrès notoire avec la fonction de simulation
de montage. Puis la définition du code SMPTE
avec ses 80 bits et l'arrivée d'éditeurs
plus performants, les premiers multi-machines, citons
pour mémoire le RA 4000, le TeE, l'EC-2,
le RES-1 et l'AE-600, pour les machines quadruplex.
La couleur, qui était dans les premiers projets,
dès les débuts de la télévision
donc, amènera aussi son lot de contraintes
techniques, puisqu'à cette occasion, s'y
dessinèrent des volontés d'hégémonie
devenues notre lot quotidien.
F.
Chabrol (sur une idée d'A.Delhaise)
*André
Bertaux, premier technicien sur magnétoscope
en France.
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